jeudi 8 janvier 2009

Retrouvé dans les Archives de l'Association


Mardi 7 mars 2006  LES VILLAS-KIBBOUTZ 

Des républiques villageoises


Une vie communautaire rare, une certaine mixité sociale, un virus associatif vivace et une solidarité spontanée envers les plus fragiles sont au cœur de ces voies d’un autre type. Ce sont des sœurs jumelles. Mêmes maisonnettes de guingois, mêmes jardinets débordant allègrement sur le pavé, mêmes panneaux d’affichage précisant le calendrier des événements. La convivialité est de règle. La solidarité envers les plus fragiles, itou.

A la villa des Tulipes (18 e ), les habitants ont pris spontanément en charge le «monsieur chinois » après l’incendie de sa maison. A la villa de l’Ermitage (20 e ), on entreprend des démarches pour accélérer le relogement de Mariam et de ses deux enfants, expulsés de leur appartement au printemps. Les assistantes sociales n’en reviennent toujours pas.

On les appellera les villas-kibboutz. Situées dans des quartiers réputés difficiles (la porte de Clignancourt pour l’une, Ménilmontant pour l’autre), ces petites voies bucoliques sont le cadre d’une vie communautaire rare à Paris. Leurs habitants ont longtemps été confrontés à un environnement plutôt hostile – prostitution endémique à la villa des Tulipes, trafic de dope à la villa de l’Ermitage – mais, loin de se claquemurer, ils ont décidé de faire face. Le statut public des voies empêchait d’en interdire l’accès ? Qu’à cela ne tienne, ils ont décidé de les animer. En vingt ans, ces ruelles ont ainsi été verdies, repavées, bichonnées et finalement débarrassées des « fauteurs de troubles » .

Les traits de ressemblance s’arrêtent là. Car, pour ce qui est du caractère, les deux jumelles n’ont pas hérité des mêmes gènes. La villa de l’Ermitage est une taiseuse. Elle tient à son anonymat et évite les questions qui fâchent. Sa tolérance a des limites. Celles imposées par le caractère résidentiel du lieu. L’installation d’un cabaret-théâtre(L’Ecume-bar) à la  programmation pourtant tranquille a ainsi suscité une levée de boucliers des résidents. Le patron s’est efforcé de limiter les nuisances, mais quelques farfelus continuent à lui faire « des misères ».

La villa des Tulipes, tout au contraire, est une extravertie. Andrée Jousse, la représentante des habitants, en parle avec appétit. Sa villa, elle l’a pensée. théorisée, décortiquée. Si la vie collective s’y épanouit malgré l’hétérogénéité –  relative – du peuplement, c’est qu’elle dispose de trois atouts : un « lieu spécifique », des « rites établis », et des « grandes gueules » pour animer le tout. Le lieu

spécifique, c’est naturellement la voie centrale, une « cage d’escalier à plat », que

chacun est libre d’annexer, pourvu que les voisins puissent se joindre aux festivités. Ce lieu, bordé d’ « objets symboliques » comme la « glycine de Jean » ou le «cerisier des Longuet-Marx » (dont les boutures ont essaimé un peu partout) doit lui-même être porteur de rites établis. Depuis la naissance du petit Jousse, la villa fête ainsi l’arrivée de chaque enfant (soit une quarantaine en l’espace de quinze ans) en tendant des calicots à la gloire du nouveau venu. Les défunts ne sont pas en reste. Ils sont accompagnés jusqu’à leur dernière demeure, avec l’aide d’un des résidents, responsable du service diocésain des funérailles. Enfin, pour se retrouver régulièrement et scander le rythme des saisons, les grandes fêtes – Noël, Pâques, Chandeleur… – sont le prétexte à de joyeuses agapes. Ce « jeu villageois » a naturellement besoin d’organisateurs. Sur environ 400 habitants,ils sont cinq ou six à consacrer une bonne  part de leur temps libre à l’animation de la villa. Des leaders naturels pris par le virus associatif, dont l’action s’étend aujourd’hui à tout le quartier.

Avec son compère Denis Loubaton et quelques autres, Andrée Jousse s’est ainsi lancée dans la reconquête du talus du chemin de fer de petite ceinture qui prolonge au sud lesjardins de la villa. Bien décidée à « faire du terrorisme avec des graines de  roses trémières », notre Abraracourcix en jupette est descendue nettoyer les voies devenues peu à peu la décharge publique du quartier. L’initiative a été moyennement appréciée par les jeteurs de poubelles. Message reçu. Pour faire taire les mauvaises langues qui accusaient les « bobos de la villa » de détourner l’espace public à leur profit, les Amis du jardin du Ruisseau n’ont pas créé un jardin partagé, comme prévu initialement, mais un jardin pédagogique destiné aux écoles du quartier.

Gurvan Le Guelec

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